Par un arrêt du 17 novembre 2021 publié au bulletin, la Cour de cassation considère qu’est autorisée « la conclusion de plusieurs contrats à durée déterminée [de remplacement] successifs, sans qu’il y ait lieu à application d’un délai de carence ».
Cet arrêt pourrait avoir des conséquences pratiques considérables pour la gestion des remplacements.
- Principes applicables
En matière de succession de contrats à durée déterminée le Code du travail distingue deux hypothèses :
- Contrats successifs avec le même salarié :
L’article L. 1244-1 du Code du travail autorise la conclusion de contrats de travail à durée déterminée successifs avec le même salarié notamment en cas de « remplacement d’un salarié absent ».
Par conséquent, il est possible de conclure deux contrats à durée déterminée de remplacement successifs avec le même salarié.
- Contrats successifs sur le même poste :
L’article L. 1244-3 du Code du travail impose l’application d’un délai de carence entre deux contrats à durée déterminée visant à pourvoir un même poste.
Par exception, sauf application de dispositions conventionnelles étendues, ce délai de carence n’est pas applicable « lorsque le contrat de travail à durée déterminée est conclu pour assurer le remplacement d’un salarié temporairement absent ou dont le contrat de travail est suspendu, en cas de nouvelle absence du salarié remplacé »[1].
Ainsi, il est possible de conclure des contrats à durée déterminée successifs de remplacement sur un même poste sans respecter de délai de carence, sous réserve que le salarié initialement remplacé soit de nouveau absent.
- Incertitudes Jurisprudentielles
Des difficultés d’interprétation de ces différents textes sont apparues devant les juridictions du fond. En effet, certaines juridictions ont considéré, à la lecture des dispositions susvisées, qu’un délai de carence devait être respecté entre deux contrats à durée déterminée de remplacement lorsque le second contrat concernait le remplacement d’un salarié absent différent de celui visé par le contrat initial.
À titre d’illustration, très récemment, la Cour d’appel de Versailles a ainsi pu considérer que :
« Pour l’application de ce texte, qui s’interprète strictement, l’exception qu’il prévoit s’entend nécessairement d’une «nouvelle absence du salarié remplacé», ce qui exclut qu’une mission vouée au remplacement d’un premier salarié puisse être confiée à M. A sans délai de carence pour le remplacement d’un autre salarié. ». (CA Versailles, 20 octobre 2021, n° 19/00103)
C’est la position retenue dans l’arrêt attaqué[2].
- Faits et décision
Un salarié avait conclu des contrats de travail à durée déterminée successifs afin de procéder au remplacement de quatre salariés absents distincts sur un même emploi d’assistant de vente. Il demandait donc la requalification de ces contrats en CDI. Il a obtenu gain de cause en appel.
La Cour d’appel s’est fondée sur l’article L.1244-4 du Code du travail (dans sa rédaction applicable) pour considérer qu’un délai de carence devait s’appliquer entre les contrats puisque les remplacements ne visaient pas le même salarié absent.
Toutefois, par cet arrêt du 17 novembre 2021, la Cour de cassation censure cette interprétation et rappelle que « lorsque le contrat à durée déterminée est conclu pour remplacer un salarié absent, les dispositions de l’article L. 1244-1 du Code du travail autorisent la conclusion de plusieurs contrats à durée déterminée successifs, sans qu’il y ait lieu à application d’un délai de carence ».
- Analyse et portée
La Cour censure donc l’arrêt pour avoir appliqué, à tort, les dispositions afférentes au délai de carence requis en cas de succession de contrats à durée déterminée sur un même poste.
Deux interprétations sont possibles de la solution rendue ainsi par la Cour de cassation :
- Soit la Cour considère que dès lors que deux contrats de travail à durée déterminée ne visent pas à remplacer le même salarié, ils n’ont pas pour objet de pourvoir le même poste. La Cour distinguerait alors l’emploi (qui peut être identique pour plusieurs salariés) et le poste (qui est attaché à un salarié). Or, en l’espèce, les quatre contrats à durée déterminée visaient à remplacer quatre salariés distincts, donc quatre postes différents, peu important qu’il s’agisse du même emploi (assistant de vente).
- Soit la Cour considère que lorsque les dispositions spécifiques relatives à la succession de contrats de travail à durée déterminée avec un même salarié s’appliquent, il n’y a pas lieu d’appliquer les dispositions générales relatives à la succession de ces contrats sur un même poste.
En tout état de cause, ces deux interprétations aboutissent à ce qu’en toute circonstance aucun délai de carence n’est applicable entre deux contrats de travail à durée déterminée successifs de remplacement conclus avec le même salarié.
Cette décision a une portée conséquente dans la mesure où les hypothèses de remplacements successifs de salariés différents sont particulièrement courantes en pratique.
Il faut néanmoins garder à l’esprit, qu’en tout état de cause, cet arrêt n’enlève rien au principe selon lequel le contrat à durée déterminée ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Lien vers l’arrêt : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000044352205?init=true&page=1&query=20-18.336&searchField=ALL&tab_selection=all
[1] Article L. 1244-4 du Code du travail dans sa rédaction applicable à l’espèce, devenu article. L. 1244-4-1 du Code du travail
[2] CA Paris, 3 juin 2020, n° 18/02462